Avis général s’opposant à la modification du régime juridique des animaux
Par Jean-Pierre Digard directeur de recherche émérite au CNRS
membre scientifique du Groupe de travail 1 (« Statuts juridiques de l’animal »)
Que les animaux soient des êtres sensibles ne fait aucun doute. Qu’il faille faire apparaître ce constat dans le Code civil n’apparaît pas pour autant possible, nécessaire ou anodin.
Il faut savoir, en premier lieu, que les animaux, qui se répartissent entre plusieurs dizaines de millions d’espèces, ne sont pas tous des êtres sensibles au même titre ni au même degré. Passer cette diversité sous silence en persistant à parler de l’Animal au singulier, contre toutes les évidences zoologiques, serait donc formidablement réducteur, ainsi que générateur de difficultés évidentes d’application du Droit.
Il importe, par ailleurs, de se demander quelle serait la signification et la portée de l’inscription dans le Code civil de la notion d’animal comme être sensible. Ou bien cette inscription constitue un geste symbolique, auquel cas elle n’a pas de nécessité. Ou bien il s’agit au contraire d’un acte lourd de conséquences, que les associations comme la Fondation Brigitte Bardot ou la Ligue des Droits de l’Animal tentent pour l’instant de dissimuler ou de minimiser, mais dont elles ne manqueront pas, tôt ou tard, de se réclamer pour tenter d’imposer de nouvelles contraintes et limitations aux activités humaines d’élevage ou d’utilisation d’animaux, à caractère économique ou de loisir. Il n’est pas crédible, en effet, que le changement de régime juridique de l’animal tel qu’il est prôné par le rapport Antoine au Garde des Sceaux ( mai 2005 ) — soit l’extraction complète des animaux du droit des biens, soit leur inclusion dans une nouvelle catégorie de biens, non plus « biens meubles » mais « biens protégés » en leur qualité d’« êtres vivants et sensibles » — puisse n’affecter, ni les dispositions d’autres codes en matière de protection animale, ni celles propres au monde agricole notamment. Il est évidemment facile de prétendre aujourd’hui que tel ne sera pas le but du législateur et/ou que la nouvelle réglementation devra d’être appliquée avec sagesse…
On est tout de même fondé à s’inquiéter à la lecture du dernier paragraphe du rapport Antoine : la rédactrice y affirme en effet sa préférence pour la première option rédactionnelle qu’elle propose — à savoir l’extraction complète de l’animal du droit des biens —, au motif que celle-ci est « beaucoup plus novatrice et audacieuse, et laisse au droit de l’animal des possibilités d’évolution qui sont d’ores et déjà prévisibles » !
On ne peut que constater, enfin, que l’introduction de la notion d’animal comme être sensible dans le Code civil ne répond à aucun « besoin », « évolution des moeurs » ou « demande des citoyens », motifs que brandissent volontiers les associations protectionnistes, mais qui se révèlent à l’examen purement imaginaires, ou issues de sondages relevant plus de la communication que de l’investigation scientifique digne de ce nom.
En définitive, la seule protection des animaux qui s’impose, car seule vitale à grande échelle et dans la longue durée, est celle concernant des populations animales, espèces ou races domestiques, dont la disparition, imminente dans bien des cas, causerait des dommages irréversibles à la biodiversité. Pour la protection des animaux en tant qu’individus éventuellement maltraités, les dispositions existantes suffisent amplement. Pourquoi ne sont-elles pas appliquées ? Voilà une vraie question, que l’on ferait mieux de se poser, au lieu de se gargariser d’incantations idéologiques stériles.
( Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, Paris, 20 mai 2008 )
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